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L'infini, ou Theresa. (I'll follow you into the dark.)

par Gabonia Maria Madeus

publié dans Nouvelles Musicales , Covers

                Je lui ai dit « Ecoute, Theresa, écoute, écris-moi une chanson et on verra. ». Je me sentais un peu salaud. C’était comme si j’exigeais d’elle qu’elle prenne mon image, mon odeur, ma voix, mes yeux, mes cheveux, mes gestes, mes postures et mes mimiques avec elle pour s’en inspirer. C’était comme si je l’obligeais à faire de moi sa muse.  Je l’ai regardée, droit dans les yeux, me sentant toujours un peu salaud, j’ai tourné les talons et suis parti sans attendre de réponse.

                Je ne demandais rien que Theresa ne puisse pas me donner. Je voulais une chanson. Ma chanson. Je voulais qu’elle me chante quelque chose, qu’elle chante pour moi, à propos de moi, en pensant à moi. C’était sans doute un peu égoïste de ma part de vouloir cela. Mais j’avais besoin de me retrouver dans sa musique. Pas pour que le reste du monde sache que nous étions amoureux, pas pour me rassurer, pas pour m’assurer qu’elle m’aimait véritablement. J’avais besoin de me retrouver dans sa musique, pour être certain que notre histoire resterait gravée quelque part. C’était peut-être idiot, mais ce n’était pas notre genre de graver dans un petit cœur nos initiales sur un tronc d’arbre au milieu de la forêt. Les arbres tombes, les inscriptions s’effacent, brûlent dans des cheminées et notre couple part en fumée. Les chansons restent dans les esprits, la musique flotte dans l’air, traverse le temps. J’avais besoin de nous retrouver dans sa musique, pour être sûr que notre histoire aura une chance de traverser le temps elle aussi.

                Alors, je lui ai dit de m’écrire une chanson. Même si je me sentais comme un petit con narcissique, un peu salaud et égoïste. Je lui ai dit « Bien sûr, je sais. La musique ne nous rendra jamais immortels… Mais peut-être qu’on pourrait éviter l’oubli… » en la regardant. Elle m’a demandé pourquoi j’avais besoin d’éviter l’oubli, pourquoi j’avais tant besoin que quelque chose de nous reste piégé dans le temps. Tout ce que je pouvais lui dire, c’était que j’avais peur du noir. Peur du noir, du néant, peur de l’oubli depuis toujours et surtout maintenant. Je me sentais toujours aussi con. Tandis que je me demandais à quoi tout cela rimait, pourquoi vivre, pourquoi mourir, pourquoi oublier, Theresa m’écrivait une chanson. Je ne m’attendais à rien de particulier, je n’avais pas de prédictions. Je savais seulement que ce serait beau. Je ne savais pas pourquoi j’avais si peur de l’oubli. Je ne l’expliquais pas. Mais il me semblait qu’il fallait se souvenir des choses. J’aurais voulu me souvenir, moi, ne pas oublier certains couchers de soleil, certaines soirées au coin du feu, les prénoms des premiers amis que j’ai eus. Il y a trop de petites choses oubliées, mais qui pourrait pourtant amener un sourire de temps en temps. Alors même si je me sentais un peu salaud, j’ai demandé une chanson. Une chanson qui illuminera mon visage quand je l’entendrai, quand j’y repenserai, et qui pourra peut-être faire sourire d’autres apeurés de la vie.

                Theresa est revenue quelques jours plus tard vers moi. Elle avait cette petite chemise blanche que j’aimais, et ce sourire accompagnant ses joues roses. Elle m’a dit de chercher Theresa Rose Parks sur le net. Elle m’a regardé, m’a souri et m’a dit « Regarde, écoute, et on verra. ». Je me suis encore senti un peu con. Alors, le soir, quand je suis rentré chez moi, j’ai tapé sur mon clavier ce qu’elle m’avait dit. J’ai trouvé une vidéo, publiée aux yeux du monde entier par Theresa. Le titre était beau et je suis tombé amoureux de la chanson avant même de l’écouter. « I’ll follow into the dark », c’était le titre. Alors j’ai lancé la chanson.

                Il y avait des arpèges, des petites notes de guitare qui flottaient doucement dans les airs, qui occupait tout l’espace de la pièce. C’était tendre, immensément tendre, tout en profondeur. Sa voix était claire et calme, et cela m’a ému. Je l’ai écoutée jusqu’à la connaître sur le bout des doigts, jusqu’à ce que je sois sûr de ne pas pouvoir l’oublier. Tout était beau. Et je la voyais chanter sur l’écran. Elle était assise quelque part dans la nature, dans un coin tranquille, un parc ou un jardin peut-être. Elle baissait les yeux et se balançait paisiblement au rythme de sa musique. Elle jetait de temps en temps un coup d’œil à la caméra. C’était simple : elle était belle. Tout son être était beau, sa chanson l’était, sa musique l’était. Et cela m’apaisait. Je me sentais calme, je me sentais reposé pour la première fois depuis longtemps. Je respirais doucement, avec un petit sourire. Je me sentais niais. Mais peu importait que je me sente niais, con, égoïste, salaud ou narcissique. C’était parfait. Tout l’était.

                Je pensais toujours à l’oubli, et il m’effrayait encore. Je n’avais aucune idée de ce que l’avenir me réservait. Mais j’avais Theresa, et elle me protégeait du noir, du néant, tout en me faisant la promesse d’y plonger à mes côtés. Je savais que l’oubli n’était pas un piège qui se refermerait sur moi pour l’instant. J’avais juste à me rappeler, à me chuchoter à moi-même ces quelques mots.

                « I’ll follow you into the dark ».

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